Qu’est-ce qu’il m’arrive ?
Publié le 21 novembre 2024.
Cisaruk et Aragon, la fiancée du poète
Le 25/11 au Kibélé (75), Annick Cisaruk et David Venitucci présentent Qu’est-ce qu’il m’arrive ? Riche des compositions originales de l’accordéoniste, un récital à forte intensité où la chanteuse épouse les rimes et vers de Louis Aragon, l’immense poète du XXème siècle.
Public collé-serré, ambiance des années 60 dans les caves à musique, le piano à bretelles entame sa litanie. Jusqu’à ce que la dame en noir enchaîne de la voix sur la scène du Kibélé… Regard complice, œil malicieux, la Cisaruk se révèle convaincante, émouvante ! Après Ferrat, Ferré et bien d’autres, elle ose à son tour visiter et se mettre en bouche la poésie d’Aragon. Un spectacle conçu avec le regretté Bernard Ascal, lui-même poète et porteur de moult gènes artistiques. Pour la plupart, des poèmes méconnus, posés sur les mélodies inédites de David Venitucci, permettant ainsi au public enthousiaste de porter un regard neuf sur la grande œuvre du poète. La preuve ? Ici, il ne sera pas question de ses yeux, mais de La main d’Elsa, « Donne-moi tes mains dont j’ai tant rêvé (…) que je sois sauvé / Lorsque je les prends à mon pauvre piège / De paume et de peur de hâte et d’émoi ».
Un Aragon surprenant, détonant, loin de l’image figée du communiste intransigeant ou du dandy décadent, un homme de lettres et poète pris en étau entre doctrine et idéaux libertaires, amoureux des arts et de la beauté, s’enivrant des mots et des corps de l’autre, hanté par le souvenir de la guerre… Chantre de la femme et des étoiles, « des vertes et des pas mûres (…) un bateau /Des bonbons des fleurs /De toutes les couleurs ».
Une palette d’émotions qui s’évade du micro pour toucher sa cible plein cœur, spectateurs esbaudis par tel surplus de sensations !
La question, Aragon se la pose : « Qu’est-ce qu’il m’arrive ? Chaque mot que je dis me découvre (…) me trahit ». La belle interprète la fait sienne. En compagnie de Didier-Georges Gabily le grand auteur dramatique trop tôt disparu, elle aura découvert théâtre et littérature. En 1981, elle entre au Conservatoire de Paris. Sous la direction de Marcel Bluwal, elle joue Le Petit Mahagonny de Brecht au côté d’Ariane Ascaride, régulièrement elle foulera les planches sous la houlette de Giorgio Strehler et Benno Besson. Derrière le micro, elle fait les premières parties des récitals de Pia Colombo et Juliette Gréco. D’hier à aujourd’hui, Annick Cisaruk cultive ses talents avec la même passion. Toujours elle aura mêlé chant, théâtre, comédie musicale.
Un moment crucial pour la chanteuse et… l’amoureuse ? Sa rencontre avec les doigts d’orfèvre de David Venitucci ! Du classique au jazz, en passant par la variété, d’une touche l’autre, le musicien compose et libère moult mélodies enchanteresses. Lorsqu’il n’accompagne pas Patricia Petibon ou Renaud Garcia-Fons, Michèle Bernard à la chanson ou Ariane Ascaride au théâtre, en duo ils écument petites et grandes scènes. De l’Olympia au caboulot de quartier, elle éprouve autant de bonheur et de plaisir à chanter. « Je prends tout de la vie », affirme avec conviction la fiancée du poète. « C’est une chose étrange à la fin que le monde / Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit », clame Louis Aragon, « Ces moments de bonheur ces midi d’incendie (…) N’ayant plus sur la lèvre un seul mot que merci / Je dirai malgré tout que cette vie fut belle ». Le récital l’est aussi !
Outre Aragon et un retour en 2025 au théâtre de la Scala, Annick Cisaruk peaufine son prochain spectacle. Entre répétitions et récitals, la belle ingénue s’immerge dans l’univers de Serge Reggiani, textes -peintures et lettres. C’est moi, c’est l’Italien / Est-ce qu’il y a quelqu’un ? / Ouvre-moi, ouvrez-moi la porte… En coulisse, musique et chanson, Bello ciao, mûrit un vibrant hommage au sublime interprète et comédien. Silenzio, zitto, bocca chiusa !
Yonnel Liégeois
– Qu’est-ce qu’il m’arrive ? Textes et poèmes de Louis Aragon, la plupart mis en musique pour la première fois : le 25/11 à 19h30. Le Kibélé, 12 rue de l’Échiquier, 75010 Paris (Réservation indispensable au 01.82.01.65.99).
– Paris retrouvée : du 16/01 au 14/02/25, à 19h. Cinq comédiennes (Ariane Ascaride, Pauline Caupenne, Chloé Réjon, Océane Mozas, Délia Espinat-Dief), une chanteuse (Annick Cisaruk) et un accordéoniste (David Venitucci) pour fêter Paris et celles et ceux qui l’ont célébrée dans leurs poèmes et leurs chansons : Louis Aragon, Philippe Caubère, Simone de Beauvoir, Marina Tsvetaïeva, Louise Michel, Prévert, Charles Trenet ou Apollinaire. La Scala, 13 boulevard de Strasbourg, 75010 Paris (Tél. : 01.40.03.44.30).
Off Avignon 2023, Cisaruk & Venitucci au cœur d’Aragon
Ajouté par Catherine Laugier le 25 juillet 2023.
Sauvé dans Catherine Laugier, En scène, Festivals, L'Équipe
Tags: Annick Cisaruk, David Venitucci, Nouvelles, Off Avignon 2023
Cisaruk & Venitucci chantent Aragon 2023 Photos @Catherine Laugier
17 juillet 2023, Off Avignon, l’Atypik
Un concert de chansons d’Aragon ? Si vous avez en tête Ferrat, ou même en premier Ferré, qui a contribué à faire d’Aragon un des principaux poètes du XXeme siècle en le mettant en musique, vous allez être surpris. Après une magnifique intro de David Venitucci, le compositeur unique du spectacle, à l’accordéon, ses douces variations parfois presque flûtesques, parfois respiration profonde, on commence avec Les mains d’Elsa – et non, pas les yeux – « Donne-moi tes mains dont j’ai tant rêvé (…) que je sois sauvé / Lorsque je les prends à mon pauvre piège / De paume et de peur de hâte et d’émoi ». Chanté, murmuré comme une plainte, sobrement debout au micro, on a certes l’impression d’être dans un caveau rive-gauche avec une chanteuse existentialiste, dame en noir à longue chevelure aux boucles de feu.
Mais très vite le passé toujours présent de comédienne de La Cisaruk, « La » comme on dit La Callas, prend le dessus. Tragédienne, danseuse, malicieuse, séductrice, inquiétante. C’est une séduction mutine qui ponctue le « Jaloux des gouttes de pluie / Qui trop semblent des baisers » sur les volutes de l’accordéon, le rythme de son soufflet entêtant, ou tout en légèreté sur « Elle s’arrête au bord des ruisseaux / Sa robe est ouverte sur le paradis ». Cisaruk mêle la profondeur de l’âme slave à la gouaille de la petite femme de Paris, à la dramatique de Brecht si souvent interprété, peut-être l’angoisse diffuse de l’humain aux multiples racines partout à sa place, pourtant sans cesse poursuivi pour d’obscures mauvaises raisons.
En chanson elle a interprété Vian, Barbara, Ferré, tous si français, tous venus d’ailleurs, avec les souvenirs familiaux d’autres cultures, d’autres religions. Et Aragon déjà, mis en musique par Ferré. Aragon, nom d’emprunt, enfant non reconnu, et pourtant parrainé par son père, marrainé par sa grand-mère qui était officiellement sa mère adoptive, frère de sa mère. Navigant dans ce XXème siècle de toutes les horreurs, la grande guerre et la génocidaire, mais aussi de l’émergence de toutes les libertés. « Autre fois tout semblait ne pas nous concerner » dit-il à propos de l’arrivée de la guerre. Entre religions, lame de fond communiste, arts picturaux, littérature, du surréalisme au réalisme social en peinture, au classicisme en poésie. Mais si les « voiles [de la divine élégie] sont pendus à son beau corps d’albâtre », il ne peut s’empêcher d’y mêler des étoiles « des vertes et des pas mûres,(…) un bateau /Des bonbons des fleurs /De toutes les couleurs ». Ça se chante avec un sourire retenu, et un accordéon qui fait manège. Entre les femmes de sa vie, et surtout Elsa, muse et compagne de plus de quarante ans, « Je suis devenu pour toi un monstre de fidélité » et une attirance avouée tardivement pour les hommes. Pacifiste, communiste jusqu’à l’aveuglement, résistant. Poète, critique, journaliste, écrivain, éditeur. Contradictoire. Humain. Pas étonnant que ce personnage si représentatif de ce siècle passé, sa poésie dada ou plus classique, fleuve, ait pu inspirer les plus grands…
« Qu’est-ce qu’il m’arrive. Chaque mot que je dis me découvre (…) me trahit » dit la comédienne. « J’ai souvent essayé de m’imaginer la poésie / Comme le poing fermé qu’on glisse dans une chaussette / Histoire de voir s’il faut la repriser / Ou la grimace d’un enfant à soi-même dans la glace » chante la… à quoi bon tenter de les séparer. Chanteuse et comédienne sont désormais liées à jamais. Le feu clignotant de la voiture de police s’allume d’une main qui s’ouvre et se ferme. Une ambiance noire et angoissante surgit de la voix modulée, les lettres blanches retournées, Aragon à l’envers. Je ne tricherai pas. La vie est un jeu, « Rien ne va plus », mais aussi « Je dirai malgré tout que cette vie fut belle ».
Les poèmes psalmodiés plutôt que chantés fusionnent avec la musique. Venitucci, si distant, si présent, assis face au monde, visage presque impassible, levé vers le ciel de l’inspiration. Avec ce petit geste de la paume de la main, au coin de l’instrument, qui le fait frémir, vibrer, sans nul besoin d’effet électro. Le rythme qu’il donne sans aucun besoin de percussions. Le vent sans cuivres et les orgues sans tuyau, le manège sans le pompon, les émotions même sans les mots, les atmosphères sans décor. Souvent, Cisaruk plutôt que d’anticiper le poème, laisse la musique extraordinaire de son compagnon se développer, l’amener sans mot dire. Comme le disait Aragon, de ces vers « La musique en naissait au profond de mon sang », et celle de Venitucci s’en fait l’orchestre, conduit embrassé plutôt qu’à la baguette.
Pour ceux qui connaissent les « chansons d’Aragon », seuls quelques vers du discours (dans sa partie III, écourtée) leur rappelleront quelque chose. Ferrat y a puisé pour en faire une chanson « J’entends, j’entends », et le titre d’ « Au printemps de quoi rêvais-tu ». *
Chansons d’amour fou, chanson d’humour sur un accordéon guilleret, où la Cisaruk lâche prise, en vocalises et stridences lyriques, poèmes comiques, presque haïku, « Qui n’a pas son petit canard / Son petit pain / Son petit lupanar / Son petit bonheur son petit soleil / Son petit sommeil / Coin-coin », poèmes du souvenir annoncé par la mélancolie de la chanson de Craonne, respirée sur l’accordéon, « Un soir plus tard un soir de musique et de neige / On se demandera comment ce fut possible / Que l’épaule ait porté ce poids un soir plus tard ». Toute la complexité d’Aragon, la diversité de son style porté par le jeu époustouflant de la Cisaruk, par l’accordéon de Venitucci semblant voler de ses propres ailes, respirer de ses propres poumons.
Il faut souligner ce travail d’explorateurs, de défricheurs même, qu’ont réalisé Cisaruk et Venitucci, en collaboration avec Bernard Ascal, pour puiser à la source dans des poèmes d’Aragon, pour la plupart rarement révélés au grand public, et en tirer ce spectacle en tout point bouleversant, initiant toutes les émotions, avec les seules musiques de Venitucci. Laissons la conclusion à Aragon lui-même : « C’est une chose étrange à la fin que le monde / Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit / Ces moments de bonheur ces midi d’incendie (…) N’ayant plus sur la lèvre un seul mot que merci / Je dirai malgré tout que cette vie fut belle ».
Les Chansons d'Avignon, WeCulte! Le Mag Culture
La scène française de la chanson est bien présente à Avignon. On y retrouve des artistes passionnés porteurs de textes forts et de belle poésie.
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De son côté c’est Aragon qu’a choisi de chanter Annick Cisaruk, des poèmes dont la plupart sont mis en musique pour la première fois par le grand accordéoniste David Venitucci qui était lui aussi sur la scène d’Avignon.
Annick Cisaruk nous rappelle parfois Juliette Greco, d’autre fois Léo Ferré. Mais elle est aussi comédienne et interprète chaque chanson comme si c’était une tirade de théâtre. C’est intense et profond.
On prend un grand plaisir à retrouver un texte chanté par Jean Ferrat entièrement renouvelé par la musique de Venitucci. Mais les deux artistes nous font surtout découvrir un Aragon moins connu. Un immense poète, un formidable accordéoniste, une excellente interprète… un très beau spectacle.
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Qu'est ce qu'il m'arrive ?
Annick Cisaruk et l’accordéoniste David Venitucci revisitent les poèmes d’Aragon en chansons